Pourquoi les bailleurs exigent des avances élevées de loyer au Cameroun
Geloka
5 min de lecture
∙15 octobre 2025
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Le marché locatif camerounais est souvent accusé d’être déséquilibré, avec des loyers élevés et des avances exorbitantes. Mais du côté des bailleurs, ces pratiques traduisent surtout un manque de garanties et un cadre juridique peu appliqué. Comprendre leurs motivations permet d’envisager une régulation plus juste et durable.
Un marché locatif sous tension
Au Cameroun, la recherche d’un logement est souvent un parcours du combattant. Les prix varient sans logique apparente, les conditions sont souvent strictes, et les avances exigées peuvent atteindre jusqu’à 18 mois de loyer, un montant colossal pour la majorité des ménages.
Derrière ces pratiques se trouvent des bailleurs (propriétaires) qui, loin d’être toujours animés par la cupidité, agissent selon des logiques économiques, sociales et juridiques précises. Comprendre leur position, c’est aussi comprendre les déséquilibres structurels du marché locatif camerounais.
Pourquoi les bailleurs exigent des avances importantes
L’une des pratiques les plus décriées par les locataires est celle des avances de 6 à 18 mois. Mais du côté des bailleurs, cette exigence s’explique par plusieurs raisons :
La peur du non-paiement
Les impayés de loyers sont fréquents et les procédures d’expulsion longues et coûteuses. Sans système de garantie efficace, les bailleurs cherchent à se prémunir contre le risque d’un locataire défaillant. Une avance importante devient alors une forme d’assurance: elle sécurise le revenu du bailleur sur une période donnée.
L’absence d’assurances locatives
Dans de nombreux pays, il existe des dispositifs de garantie locative: des assurances ou des fonds publics qui couvrent les loyers impayés. Au Cameroun, ces mécanismes sont inexistants. Le bailleur ne peut compter que sur lui-même.
Un environnement économique incertain
Entre la dévaluation du franc CFA, l’inflation des matériaux de construction et la rareté du foncier, les propriétaires cherchent à amortir leurs investissements au plus vite. Le logement devient non seulement un bien social, mais aussi un placement financier à sécuriser.
Le vide juridique et la faiblesse de l’application des lois
Le cadre légal camerounais n’est pas totalement silencieux sur la question du logement. Il existe des textes encadrant la location, notamment sur la durée des avances ou la fixation des loyers.
Cependant, ces lois sont rarement appliquées.
Une régulation théorique
En théorie, la loi limite le montant de l’avance exigible à deux mois. En pratique, les bailleurs imposent librement leurs conditions, sans crainte de sanction. Les locataires, souvent mal informés ou désespérés, acceptent par contrainte.
Un manque d’arbitrage institutionnel
Les litiges locatifs devraient être tranchés rapidement par des commissions locales ou tribunaux spécialisés. Mais ces instances sont soit inexistantes, soit engorgées, soit perçues comme inefficaces. Résultat : chacun agit selon ses propres règles.
Un déséquilibre d’information
Le locataire ignore souvent ses droits, tandis que le bailleur maîtrise le rapport de force. Ce déséquilibre informationnel favorise les abus et entretient un climat de méfiance mutuelle.
Des pratiques plus équilibrées ailleurs
Dans plusieurs pays africains ou européens, les gouvernements ont réussi à créer un équilibre entre la protection du bailleur et celle du locataire. Quelques exemples inspirants:
Rwanda: transparence et digitalisation
À Kigali, les loyers sont régulés par des grilles indicatives publiées par les autorités locales. De plus, les contrats de location peuvent être enregistrés en ligne, ce qui garantit la traçabilité et réduit les abus.
Maroc: médiation locative
Le Maroc a mis en place des centres de médiation entre bailleurs et locataires. Ces structures permettent de résoudre rapidement les conflits sans passer par les tribunaux, favorisant ainsi un climat de confiance.
France: caution et assurance loyers impayés
Les propriétaires peuvent souscrire à une assurance loyers impayés (GLI), qui les protège sans imposer de lourdes avances. De leur côté, les locataires bénéficient de garanties publiques comme Visale, un dispositif de l’État.
Quelles pistes pour le Cameroun ?
Pour rééquilibrer le marché, plusieurs actions concrètes sont envisageables:
Créer une assurance locative nationale (un fonds public ou privé garantissant les loyers, afin de réduire les avances exigées); mettre en place une plateforme numérique pour enregistrer les baux, centraliser les informations et éviter les fraudes; renforcer la médiation locale (permettre la résolution rapide des litiges sans engorger les tribunaux); encourager la construction de logements locatifs via des incitations fiscales, afin d’augmenter l’offre et faire baisser les prix.
Vers un marché plus juste et plus fluide
Le problème du logement au Cameroun ne se résume pas à une question de cupidité ou de manque de solidarité. Il découle d’un écosystème déséquilibré, où les bailleurs cherchent à se protéger dans un environnement sans garantie, et où les locataires subissent le poids d’un cadre juridique défaillant.
Réformer le marché locatif, c’est donc redonner confiance aux deux parties : sécuriser les revenus des bailleurs tout en protégeant le droit au logement des citoyens. Un marché mieux régulé, plus transparent et mieux accompagné pourrait devenir l’un des piliers d’un urbanisme plus équitable et durable.
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